Au Château, la petite pièce

F. est redescendu en courant, fuyant l’ombre. Il a roulé sur lui-même, manquant de se fracasser la tête contre une marche plus hardie que les autres. Se tordant la cheville. Roulant, roulant, boulant, roulant, trois, quatre, des, étages, il n’a pas compté, il a vu passer en stroboscopie le hall et la porte d’entrée, a continué sa descente, encore un, deux, plus d’étages vers le bas, rejeté sans répit de la rampe à la cage de l’escalier.

Soudain il s’arrête. Se retrouve debout. Solidement debout. F. ne sait pas comment lui est revenu l’équilibre, mais il est stable et entreprend les premières marches d’un nouvel escalier qui mène vers le sous-sol profond. L’escalier s’obscurcit à mesure qu’il descend et, étrange phénomène, semble rapetisser. Ses marches plus étroites, ses murs rapprochés, son rayon de courbure qui diminue forcent F. à plus d’attention. D’autant que la lumière… oui, la lumière… ce qui atteint les yeux de F. n’est plus tout-à-fait de la lumière. L’impression est tactile plus que visuelle, un air visqueux et masquant qui recouvre telle une humeur interne sa pupille, son iris, le blanc de ses yeux. A travers l’eau déposée, F. ne voit plus les détails de l’escalier, pourtant il avance toujours, ses pieds trouvant sans effort la marche suivante.

La lumière… oui, la lumière… l’impression de lumière sur ses yeux disparaît tandis qu’il descend une dernière fois puis s’arrête net. Plus de marches. Plus de vide sous ses pieds. Simplement, deux murs de part et d’autres, un troisième face à lui, qui marquent la fin de l’escalier.

F. est saisi.

Le mur qui lui fait face, improbable fanal au sous-sol du Château, est d’une rougeur flamboyante. Ses pans de flamme bougent devant lui, étranges flammes qui ne chauffent pas, ne font pas mine de le brûler, ne lui grillent pas la peau. Tout juste si elles dansent devant lui. Pour lui, s’imagine F., et il entreprend de les traverser. Un pas, deux pas, encore un, les flammes sont tout près maintenant, il peut les toucher. Alors, il tend la main. Traverse le rideau animé, les rougeurs exaltées qui le séparent de l’autre monde.

Encore un pas.

Au milieu de la paroi dansante, son corps s’intègre. Devient flamme. Sans douleur ni effort, sans peur ni ambition, F. est adopté par le feu qui ne brûle pas, les flammes qui ne blessent pas. Il s’immobilise au milieu de la paroi, ferme les yeux, la bouche, et inspire profondément. Les flammes le pénètrent, elles s’insèrent sans violence ni hésitation, les flammes l’emparent et le contiennent. Elles sont douces, ces flammes, elles sont tendres. Le corps de F. s’indistingue alors qu’il inspire de plus en plus grand l’odeur bonne du feu, son corps se dépose en petit tas fondu à ses pieds – mais il n’a pas souffert – ses pieds s’impriment dans la pierre en fusion du sol – mais ils n’ont pas eu mal – et ses mains… ses mains qui étaient posées le long de ses cuisses… ses mains se serrent l’une l’autre et pointent vers le haut. Sur une dernière inspiration, F. s’abandonne. De lui, les flammes disposent. Puis disparaissent.

F. se reforme. Progressivement. Bientôt, se retrouve à l’identique. Autour de lui, nulle trace de flamme, de paroi, de son holocauste. Nulle trace, nulle chaleur, nulle odeur. Seuls sous la peau de son avant-bras droit juste au-dessus du poignet, des vaisseaux rougeoyants qui s’allument et scintillent comme parcourus d’électricité. Seul marque d’avoir été un instant éternel.

Dans le sous-sol du Château redevenu sombre et tranquille, F. s’assoit, ferme les yeux et s’endort.

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