En rêvant, en écoutant. En laissant filer les mots de Frieda le long des oreilles, sous les tempes, dans le cerveau, qu’ils se perdent dans les circonvolutions et deviennent inanes. Ou qu’ils rebondissent contre la boîte crânienne, se griffent les uns les autres, se bousculent et se détruisent. Ou encore – cas rare mais plus intéressant – qu’ils descendent le long de l’œsophage de F. jusqu’à son estomac, traversent la poche acide, s’épanouissent dans les recoins de son intestin. Et que F. les digère.
Les mots de Frieda parlent d’une histoire d’amour. Mais triviale. Mais roulée dans la poussière. Les mots de Frieda parlent d’une rencontre indispensable. Mais triste. Mais perdue. F. a ingéré les paroles de Frieda et les a replacées dans leur histoire étrange, oubliée, venue d’ailleurs, un histoire où il était question, oui, d’un château, d’un village et d’une union. Une histoire qui fait question, aux mots vite indistincts car les murs du Château ont absorbé leurs résonances et F. ne les a entendus qu’une fois. A peine sortis de la bouche ils ont filé et disparu, parfois avant même d’avoir fait vibrer sa membrane, allant s’enfoncer entre les pierres mal serties des murs des basses-fosses du Château.
F. réalise, oui, qu’il est emprisonné. Les parois de feu qu’il a traversées sont devenues rigides, refroidies, les parois d’amour qu’il a tenté d’accoupler sont devenues solides, immuables, les mots de Frieda qui l’entraînaient dans la danse bleue se sont échappés. F. s’affole, il court à tâtons, ses mains trouvent aveuglément les pierres chaudes et vibrantes, un coussin d’air guide sa paume contre les murs, l’attirant dans une direction infinie. F. percole entre les pierres, les poussières, les vieilleries accumulées qu’il trébuche ou évite au hasard, il progresse mais le ventre du Château est profond. Ses recoins, insondables. Ses détours, imprévisibles.
Dans le ventre de F., les mots de Frieda font nid et enfantent.