La bouchée japonaise est un univers condensé de sens, de saveurs, de goûts. Pas un résumé, non, pas une simplification, non, pas un simple plan. Non. La bouchée japonaise est un monde à manger, une distillation fine, complexe et dosée d’essentiels sensuels, une suite poétique de sensations abouties qui donne envie de tenter la versification du repas idéal. Ainsi, on dirait qu’une Soupe miso de coques s’exprime en
profondeur marine
noirceur de l’instant fugace
la chair sous la pierre
alors que la Seriole en sashimi
frétille s’abandonne
virevolte en bouche attirée
la nageoire oublie
Lorsqu’on trempe ses lèvres dans le dashi du Tofu frit, c’est un
bonbon camouflé
la chair exsangue d’envie
croque bonheur fondant
qui surprend et encourage sa suivante, brave Sushi de hotate
loin d’Hokkaido
entre mes dents s’est fondue
tronçon de plaisir
à nous préparer le réchauffement final d’un ochazuke
casque de fumet
une épaisse bouchée promet
mon eau de bois vert
et ainsi, et ainsi…
Mais où sont les attentes ? Les espaces ? Les patiences ?
Oui, où sont les silences ?
Ha ! La bouchée japonaise se rit du silence ! Elle laisse le temps s’écouler entre les clacs, entre les dents, entre les courants de plaisir qui se répandent à l’intérieur des bouches laissant des traînées d’intensité dessiner la carte du bon sur la langue, hisser des éclairages de saveur contre le palais, aérer l’olfaction au bonheur des cinq saveurs. La bouchée japonaise prend le temps de souffler, elle choisit la rupture, l’instant de la découpe en bouche où les tranches superposées se décomptent sur les incisives et montent ou descendent la gamme de kif majeur, un cru, un cuit, un dur, un mou, un croque, un fond, et répète, et reprend. Et pause. Et détend. Et repose.
La syncope.
Le petit rythme du silence.
Du silence, quand la dent a fini de piquer, trancher ou broyer, quand la langue a fini de s’enrouler en organe préhensile autour de sa proie, quand les papilles flottent, le nez filtre, la salive finit d’accompagner et se raréfie. Quand le silence, au goût, s’installe, et que la syncope de la bouchée absente ponctue le repas.
Alors, vient le temps de la revisite. Le temps de comprendre ce qui n’était que senti, le temps de décomposer les accords, d’écrire sous la dictée buccale les notes déchiffrées de l’union symphonique. Le temps de remplir ses partitions de recettes achevées. Jusqu’à l’inspiration nouvelle.
cinq saveurs tapies
D’un fil vif sont éveillées
la main tend aux sens